En septembre 2024, Yvon Deschamps sera la vedette du premier d’une série de spectacles intitulée Yvon Deschamps raconte La Shop.
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Mais qu’on ne s’y trompe pas. On aura lavé à l’eau de Javel la langue du célèbre humoriste que les spectateurs verront sur un grand écran plutôt qu’en personne.
Il ne restera que des miettes de ses légendaires monologues des années 1970 et 1980 sur les «tapettes», sur les handicapés, sur le boss de la shop ou sur la libération de la femme. On peut oublier «Nigger Black! Nigger Black!», quand on sait que Verushka Lieutenant-Duval, chargée de cours à l’Université d’Ottawa, ou que Wendy Mesley, populaire animatrice de The Weekly à la CBC, furent stigmatisées juste pour avoir mentionné le titre du livre de Pierre Vallières Nègres blancs d’Amérique.
Les centaines de milliers d’admirateurs d’Yvon Deschamps, qui se massèrent durant des mois au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, se rappellent avoir ri de bon cœur en l’entendant se moquer des «moumounes qu’il passerait tout’ au bat’ ou des femmes qui sont l’univers des hommes». Ils se souviennent aussi qu’il a conclu que «si tu poignes les fesses à une fille, c’est parce que tu l’aimes» et qu’il s’est demandé si «on peut appeler “personnes”, les personnes handicapées»! L’automne prochain, ces admirateurs auront du mal à reconnaître leur Yvon.
AUTRES TEMPS, AUTRES BLAGUES
C’est que les temps ont bien changé. La censure qu’on croyait disparue à jamais est de retour, plus rusée et plus généralisée que jamais. Jadis l’arme exclusive des mangeux de balustre et des supporteurs des dictatures, la censure est aussi devenue une arme de l’intelligentsia de gauche et des élites universitaires. Parlez-en à l’équipe d’auteurs qui ont écrit le Bye bye de dimanche soir prochain, dont chaque mot a été soupesé par une batterie d’avocats!
Les bibliothécaires pourraient aussi vous en raconter des vertes et des pas mûres sur la censure actuelle. On doit maintenant cacher et même brûler des dizaines de livres. Tintin n’est plus le bienvenu au Congo et les dix petits nègres d’Agatha Christie ne sont plus que des «ils». Aux États-Unis, jadis pays de la liberté par excellence, la droite républicaine, inspirée par les gouverneurs Ron DeSantis et Greg Abbott, est sur la même longueur d’onde que les promoteurs du wokisme et de la cancel culture. Ils ont fait retirer des bibliothèques publiques plus de 3000 titres depuis janvier dernier.
DEUXIÈME DEGRÉ, CONNAIS PAS!
En décembre, deux grandes vedettes américaines de l’humour sont disparues: Norman Lear, créateur de la célèbre sitcom All in the Family, et Tom Smothers, qui anima avec son frère Dick The Smothers Brothers Comedy Hour, une émission irrévérencieuse à l’origine de Saturday Night Live.
Comme Yvon Deschamps, Norman Lear et les frères Smothers avaient réussi à briser les tabous et à ouvrir de grands espaces de liberté à la télévision américaine. Les deux frères Smothers furent à CBS l’équivalent de nos Cyniques, et Archie Bunker, la vedette de All in the Family, l’équivalent d’Yvon Deschamps. Aujourd’hui, aucun de ceux-là ne franchirait le seuil d’un studio de télévision, quel que soit le réseau.
Loin de s’atténuer, la propension du public à ne pas saisir le deuxième degré d’un propos a augmenté au point de réduire comme peau de chagrin le terrain de jeu des humoristes. Un terrain sur lequel le pauvre Yvon Deschamps serait maintenant presque toujours hors-jeu.